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Invitée en résidence à l’Espace Culturel de Chaillol avec le violoncelliste Daniel Mitnitsky, avec au programme une création de Claire-Mélanie Sinnhuber, j’ai tenu un journal de bord pour partager nos rencontres et impressions…

JOUR 1

Premier jour de résidence à l’Espace Culturel de Chaillol !
Nous sommes arrivés Daniel Mitnitsky et moi hier soir, après une longue journée de train. TGV d’abord, puis ce TER ensuite qui va de Valence à Gap, qui bringuebale un peu mais qui va assez lentement pour nous donner le temps de voir un paysage non flouté par la vitesse. Petit à petit, on se rapproche de Chaillol et on s’enfonce dans les Alpes. Die, Luc-en-Diois, Veynes-Dévoluy, les montagnes apparaissent, des sapins bien verts, presque pas de neige. On a le temps de rentrer dans le territoire, c’est comme si le temps ralentissait aussi. Les perspectives elles, sont au rendez-vous : accueillis à la gare de Gap par les visages souriants de Michael et Noémie, nous avons un bel emploi du temps que l ‘équipe s’est démenée à mettre sur pied. Nous pourrons travailler aujourd’hui à la Bâtie-Neuve, parler de notre programme violon / violoncelle à la Radio

Alpes 1, et jouer Ravel, Scelsi et Pintscher pour deux classes d’enfants. Une journée qui donne des perspectives de partage, ça fait du bien!

JOUR 2

Nous avons commencé à jouer, ils ont éclaté de rire. Les enfants, cet incroyable public. Le début de ce 2ème mouvement de Ravel, avec ces pizz qui se répondent en ping-pong est en effet plutôt très drôle, et ça fait comme un chatouillis heureux dans le coeur d’entendre ces rires si spontanés dans la salle. C’est dans cette salle de Gymnastique de l’Ecole de la Bâtie-Neuve, murs jaunes citron et sol violet, que les instituteurs et institutrices ont emmené leurs élèves pendant leur temps de vacances. Réconfortant de sentir que la société ne s’habitue pas à une vie sans musique vivante, et que chacun est prêt à redoubler d’efforts pour que cette rencontre puisse avoir lieu! Certains enfants ont pu sentir le violoncelle vibrer sous leur petite mains, comme une introduction à la pièce de Scelsi. Une intensité d’écoute a rempli la pièce pendant les six minutes de cette musique étrange. La magie de la musique, c’est de partager une expérience tous ensemble, et elle semble avoir opéré cette après-midi. Petit jeu de fin d’atelier, faire dessiner les sons que nous avons extrait de la pièce de Matthias Pintscher. Sons avec trombone en métal sur la corde, qui nous emmènent à une frontière poétique entre son et bruit. Les dessins sont incroyables : neige sur la mer, oiseaux, vent et pluie pour les petits, cercles, traits et formules mathématiques chez les plus grands. « J’ai comme l’impression d’un cercle à l’intérieur duquel les gens rentrent » ; « moi la musique, ça me fait toujours penser aux mathématiques ». Que l’on ne me dise plus que la musique contemporaine est inaccessible si l’on ne l’a pas étudiée. Et autorisons-nous donc à nous délester de tout ce qui nous empêche parfois d’entendre aussi librement que les enfants.

JOUR 3

Le studio de Fréquence Mistral 05, en plein centre de Gap, nous accueille sous les toits. Après les quatre étages – nous devenons vieux! – nous arrivons dans ce qui pourrait être un petit appartement : cuisine, salle de bain, et un salon où – petit détail – la table du diner été remplacée par une table de mixage. Cette intimité se prête assez bien à celle de la musique de chambre et à la frugalité de notre dispositif : un violon et un violoncelle que nous transportons sur nos dos. Nous déballons nos instruments, et jouons Ravel -vif, avec entrain- et Purcell – Ground. Le miracle de la radio est que ce moment de musique résonne dans les salons de bien des maisons en même temps. La radio qui, comme le dit notre poétique maître de cérémonie « laisse place à l’imagination » ça va bien avec notre métier, et nous sommes heureux d’avoir pu en parler dans ces micros colorés.

JOUR 4

Jeudi après-midi, depuis la Librairie Papeterie Au coin des mots passants, à la fin de l’espiègle duo de Jörg Widmann, nous avons repéré dans la rue un petit groupe de jeune musiciens, masqués mais bien reconnaissables à leur étranges sac à dos 🎻🐢 … C’était l’heure de la masterclasse !

Nous avons eu la chance d’avoir trois belles heures pour travailler avec cinq élèves du conservatoire de Gap. Le temps d’abord de leur donner tour à tour l’opportunité d’être sur scène, de renouer avec cette adrénaline du live. L’opportunité de travailler sur le phrasé, le rebond, le lâcher prise d’un geste, la douceur précise d’un démanché. Puis nous nous sommes tous regroupés, formant un étrange sextuor à cinq violons et un violoncelle. Laboratoire de musique de chambre, avec comme éprouvettes des respirations qui révèlent les énergies des uns et des autres, communiquent pulsations et caractères. On peut faire beaucoup de musique avec une corde à vide!
Et puis, pour boucler la boucle, nous avons joué pour eux, bien aidés nous-même par ce qui venait de se passer…

JOUR 5

Artistes en présence, ce sont des rencontres, des échanges, mais aussi une résidence de travail, et nous voulons vous parler aujourd’hui de ces heures de répétitions alpines. Alexandre Chevillard est venu comme un magicien transformer notre gymnase de la Bâtie-Neuve en petit théâtre, en nous inventant une scène de tissu noire assortie au rideau de fond de scène. Son oeil derrière la caméra a l’air ravi de l’amélioration, et notre concentration aussi.
Nous travaillons ce jour-là « Danses douces », la nouvelle oeuvre en quatre mouvements de Claire-Mélanie Sinnhuber . Commande de l’Espace Culturel de Chaillol, nous avons la chance d’être activement impliqués dans la naissance de cette oeuvre, que nous créerons bientôt. Pendant la préparation à l’écriture, nous avons échangé avec la compositrice, enregistrant et commentant de petites études – croquis sonores – qu’elle nous a envoyées. Aujourd’hui, la partition achevée est là, sur nos pupitres !
 

Interpréter une oeuvre, c’est un processus de traduction sonore. Nous essayons donc de comprendre l’essence et la structure de l’oeuvre. Réécoutons sa Toccata pour piano seul pour s’immerger dans son univers sonore, analysons les carrures entrecroisées, essayons de rester dans le swing et de révéler le jeu des timbres. La danse est douce, le travail ne l’est pas toujours ! Mais les difficultés techniques ne concernent que nous, et une gestuelle s’invente. L’oeuvre se révèle petit à petit, comme une découverte au long cours…

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